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Ici, vous trouverez des mots qui font des histoires pour les petits et pour les grands.
Des mots plus ou moins sérieux, même si l'écriture n'est jamais tout à fait innocente.

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lundi 2 juin 2014

Café




Mariette s’assied lourdement sur la chaise et pose ses deux coudes sur la table. Ses gros doigts noirâtres enserrent ses joues. Son regard glisse sur le sac en plastique qui pend à son dossier.
— Allez, arrête de faire c’te tête, ma Yette, lui dit Raton, mal rasé et ébouriffé.
A la table, Momo bégaie une gentillesse incompréhensible, tandis que Paco observe en silence tout le monde sauf Mariette.
Raton lève la main en direction du serveur qui fait mine de ne pas voir avant de se tourner vers le patron : qu’est-ce que je fais ? Le patron hoche la tête : c’est l’heure creuse.
Le serveur s’avance à contre-cœur.
— Quatre cafés ! commande Raton, royalement.
Il gonfle le torse, se rengorge.
— C’est pas chouette ici ? claironne-t-il.
Tout d’abord, personne ne répond. Puis, la voix de Mariette racle le silence, comme du papier de verre :
— C’était le seul qui m’aimait vraiment…
Paco soupire et Momo se tourne dans tous les sens, cherchant une diversion.
— Mais nous, on t’aime ! s’exclame Raton. Allez ma Yette, quoi, fais pas la gueule, faut tourner la page !
— C’est trop facile, c’est trop facile à dire, articule-t-elle.
Les larmes lui montent aux yeux. Momo voudrait qu’on change de sujet, mais sa bouche ouverte reste muette. Raton contemple les dorures autour du miroir mural. Il toussote.
— Un p’tit café… ça fait longtemps, hein ? lance-t-il finalement en forçant l’entrain.
Momo hoche vigoureusement la tête : oui-oui-oui ! Mariette essuie la larme qui roule sur sa joue. Paco renifle. Le serveur revient.
Il y a l’odeur du café, soudain. Et puis les petites pochettes rouges et noires, dures, à côté de la cuillère minuscule. Et le sachet blanc qu’on secoue avec un bruit de sable. Momo fait un sourire édenté d’une oreille à l’autre. Raton lui rend son sourire et Paco grogne en se redressant, les yeux soigneusement baissés vers la tasse. Mariette passe un doigt hésitant sur l'anse.
— Il paraît que c’est l’meilleur du coin, hasarde Raton.
— C’est s-s-s-s-sûr ! s’écrit Momo.
Paco aspire à grand bruit le café.
— Chaud, bougonne-t-il sans pouvoir cacher son plaisir.
Il déchire le sachet blanc, avale d’un coup le sucre, gosier en avant. Ça craque sous la dent puis ça fond. Il grommelle. Penché au-dessus de sa tasse, Raton hume la fumée. Il joue avec le sachet rouge et noir en le cognant contre la table : tac, tac, tac ! Momo lui répond machinalement en tapant avec la cuillère. Même Mariette goûte le café, les lèvres en avant et le sourcil relevé.
— Ça fait longtemps ma Yette, hein ! s’exclame de nouveau Raton.
Elle hoche la tête, l’air ailleurs. Elle n’ose plus regarder du côté du sac en plastique. Paco est à la recherche de la dernière goutte de café. Soudain, il repose brutalement la tasse, remue les jambes, saisit le sachet noir et rouge et le déchire d’un coup de dent. Tous l’observent en silence. Il happe le carré brun, le suce à grand bruit, les yeux mi-clos. Il froisse le papier, la bouche vide.
— On f’ra comment, pour les sous ? demande-t-il.
Raton caresse sa poche : on a déjà compté, c’est bon.
Paco va être de mauvaise humeur. Momo s’agite, tente en vain de trouver un mot à dire. Mariette ouvre la bouche mais Raton prend les devants : c’est chouette, il fait beau ! Elle plonge le nez dans sa tasse. Paco se racle la gorge. Raton enchaîne : y’en a qui disent que ce s’ra le meilleur été !
— I’ pue ton clebs, ’faut l’jeter ! lance Paco, les yeux rivés au sac en plastique.
Mariette se redresse. Son visage se crispe, sa lèvre inférieure commence à trembler. Raton allonge le bras par-dessus la table et touche sa main : c’est pas la peine, ma Yette… Elle hoche lourdement la tête. Ses sanglots secouent silencieusement sa poitrine. Momo, très agité, fait grincer sa chaise. Paco marmonne en jetant des coups d’œil furtifs à Raton.
— C’est pas si gentil que ça ce qu’t’as dit, lui reproche Raton.
Paco hausse les épaules, maladroitement : ben quoi, c’est pas vrai qu’i’ pue ? Ça f’ra deux jours…
Il s’arrête, fusillé par le regard furieux de Raton. Momo se balance sur sa chaise :
— Y-y a-a-a plus d’c-c-caf-f-f-f-f-f-fé ? crie-t-il.
Au loin, le serveur leur jette un œil mauvais.
— Bon, on va y aller, décide Raton.
Momo est déjà debout. Mariette essuie ses yeux sur sa manche. Raton fouille dans sa poche et étale l’argent sur la table : c’était quand même chouette, non, ce p’tit café ?
Un peu penaud, Paco se racle encore la gorge, les yeux toujours rivés au sac en plastique.
— C’est pas une raison, même s’i’ pue, que… ’fin, j’veux dire, tu vois, j’y vais y faire un trou, moi, à ton clebs, un trou sous l’arbre là où y a la tente. Comme ça, i’ s’ra toujours avec nous…