Il
l’a regardée. Droit dans les yeux.
Il
y a des signes qui ne trompent pas : elle a bien vu les perles sur ses
tempes. C’est l’émotion. Il sait qu’elle l’observe. D’ailleurs, ils se sont
retournés au même moment : lui vers la caméra, elle vers l’écran de sa télévision.
Une telle concomitance ne peut être le fruit du hasard.
Elle
irait le voir tout à l’heure, à la sortie du studio. Elle lui dirait
simplement : c’est moi. Il la prendrait dans ses bras. Peu importe les
caméras, les paparazzi. Elle deviendrait l’idole de la jeune génération, et de
la vieille aussi. Sa célébrité dépasserait les frontières et on lui demanderait
pourquoi elle est restée dans l’ombre aussi longtemps. Elle répondrait
humblement : j’attendais le bon moment.
C’est
le branle-bas : quels habits, quel maquillage choisir pour plaire à
l’homme de sa vie ? Elle opte pour les paillettes : il les aime
forcément, puisqu’il passe sa vie sur les plateaux de télévision ! Des
paillettes sur les paupières, sur les lèvres, sur les joues, un pull de sequins
irisés, une jupe étincelante…
C’est
moi, la Lumineuse !
A
dix-sept heures, elle l’attend à la sortie du studio. Elle n’est pas
seule : des centaines de femmes sont attroupées, masse mouvante,
haletante, trépignante.
Va-t-il
venir ? Il paraît qu’il n’est pas là, aujourd’hui ! Mais si, on l’a
vu en direct tout à l’heure ! Alors, il paraît qu’il est déjà parti !
Les
rumeurs sont suspectes : tu dis ça pour qu’on s’en aille, pour rester seule
avec lui !
On
s’offusque : tu dis vraiment n’importe quoi !
Elle,
elle n’a pas besoin de mensonges ou de subterfuges : aucune de ces femmes
ne lui arrive à la cheville ! Elles peuvent bien rester, elle ne craint
personne !
Le
voilà ! Il y a un grand cri dans la foule : c’est lui ! Regarde
moi ! Je t’aime depuis toujours !
La
masse se heurte à la barrière de sécurité qui les isole, elle et lui.
Elle
se fraie un chemin vers la barrière en écrasant des pieds. Une voix
l’insulte : pousse-toi, la vieille !
Peu
importe ! Elle hurle : c’est moi, je suis là !
Il
tourne un peu la tête, esquisse un sourire avant de disparaître dans la voiture
noire aux vitres teintées.
Il
est parti en trombe.
Mais
il m’a souri ! Il aurait voulu me prendre dans ses bras, mais comment
faire avec cette barrière et toutes ces femmes féroces et rugissantes autour de
moi ? Il veut me protéger de la jalousie des autres !
Un
jour, c’est sûr, ils trouveront un moyen de se rencontrer seuls, à l’abri des
regards et de la folie des femmes…
Elle
rentre chez elle, le cœur en fête. Demain encore, elle sera à la sortie du
studio pour guetter l’occasion, comme hier, avant-hier, et les autres jours
depuis des mois.
Devant
l’écran de télévision, elle sourit : il la regarde, c’est sûr !