« Cher
Père Noël,
Je
ne t’en demandais pas tant.
C’est
vrai, j’étais seule, j’avais un peu trop bu, et mes paroles ont sans doute
dépassé ma pensée.
Mais
quand même, un homme parfait… c’était vraiment trop…
Aussi,
pardonne-moi si, cette année, je te demande une imperfection pour mon
homme. Je suis sûre que tu comprendras quand tu auras considéré la
situation… »
Élisa
posa son stylo et promena un regard las sur son salon : il n’y
avait plus rien dans cette pièce, à part une petite chaise et une vieille table sur
laquelle elle pouvait écrire sa traditionnelle lettre au Père Noël. Au moins
lui restait-il cela, et elle en était heureuse car malgré les quolibets qu’elle
essuyait chaque année, elle n’aurait manqué pour rien au monde le rendez-vous
avec ce personnage qui la faisait rêver malgré ses vingt ans.
« Je
m’en fiche qu’il n’existe pas, je lui fais un courrier, et j’ai ce
que je demande ! Tiens, d’ailleurs, pas plus tard que l’an dernier…»
*
—
Tu verras, Princesse, on rachètera tout en mieux ! lui avait dit l’homme
parfait.
Le
calcul était simple : tout vendre, puis tout acheter en neuf, en plus
beau. Grâce à ses talents de négociateur, il allait lui offrir un
« intérieur de pacha ». Élisa, elle, s’en fichait un peu de
l’intérieur de pacha, mais il avait été si convaincant… Il lui avait promis :
—
Je ne m’installerai avec toi que lorsque j’aurai tout réaménagé, Trésor. Ton
appartement est déprimant, il n’est pas à la hauteur d’une dame comme
toi !
Il
était donc venu avec des amis. Trois amis, charpentés comme lui, beaux comme
lui, la chemise ouverte sur un torse puissant. Elle les avait regardé avec
plaisir emporter tout le mobilier du salon.
Son cœur en réclamait encore après qu’ils eurent emporté le dernier meuble du salon. (« Oui, je sais, Père Noël, ce n’est pas bien de fantasmer aussi sur les copains de son amoureux, mais comment faire autrement ? », pensa Élisa.)
Son cœur en réclamait encore après qu’ils eurent emporté le dernier meuble du salon. (« Oui, je sais, Père Noël, ce n’est pas bien de fantasmer aussi sur les copains de son amoureux, mais comment faire autrement ? », pensa Élisa.)
Ce
jour-là, l’idée qu’ils reviendraient vite prendre la cuisine équipée et
l’électroménager la remplissait de joie : « Plus tard, petite
Perle », laissa échapper l’homme parfait. Il était fatigué. Elle se vexa un peu : n’était-il pas pressé de s’installer avec elle ?
—
D’accord, céda-t-il. Nous reviendrons demain.
Ils
étaient donc revenus le lendemain, chemise ouverte, grands, beaux, musclés.
L’œil gourmand, elle les avaient regardé vider l’appartement.
—
Je vais te gâter, Bijou ! lui disait-il à chaque passage dans l’escalier.
Puis,
il était parti.
*
C’est
long de faire des meubles sur mesure. Le fournisseur contacté par l’homme
parfait prenait beaucoup de retard et il se trompait souvent dans les
commandes. Cela durait depuis presqu'un an et Élisa commençait à percevoir les difficultés
de son couple.
« Tu
vois, Père Noël, cet homme-là est trop parfait… Il veut tellement bien faire,
mais moi, tout ce que je veux, c’est vivre avec lui ! Et puis j’en ai
assez de ma plaque électrique et de mon matelas par terre ; je rêve d’un
four et d’un lit… Ne te vexe pas, Père Noël, c’était réellement une
bonne idée de me l’offrir pour Noël l’année dernière, descendu tout droit de
la cheminée (tellement charmant avec sa corde et ses crampons, malgré son sac vide ! ). Je ne te
demande que de changer un détail chez lui, un tout petit détail : rends-le
un peu moins scrupuleux, cela nous facilitera la vie ! »
Parmi
ceux qui croient au Père Noël, certains ont de la chance, d’autres non. Élisa
faisait partie des premiers : ses souhaits étaient toujours exaucés. Cette
année ne fit pas exception : l’homme parfait qu’elle avait eu en cadeau un
an auparavant perdit ses scrupules dès le 25 décembre : quand elle
l’appela pour lui souhaiter un joyeux Noël, une voix robotisée lui répondit :
« Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé ». Elle
n’entendit plus jamais parler de lui.