Bienvenue !


Amis lecteurs, je vous souhaite une agréable visite sur ce blog.
Ici, vous trouverez des mots qui font des histoires pour les petits et pour les grands.
Des mots plus ou moins sérieux, même si l'écriture n'est jamais tout à fait innocente.

Si vous êtes éditeur, je vous invite à visiter ma page de projets pour les enfants et ma page de projets pour les adultes.

Si vous êtes illustrateur et qu'une petite histoire plus ou moins vraie vous inspire un dessin, je serai heureuse de le mettre en ligne avec une présentation de vous sur ma page dédiée aux beaux crayons. Vous pouvez proposer une illustration pour n'importe quel texte.

samedi 30 novembre 2013

Pour Léa



C'est Delphine Berger-Cornuel qui a eu l'idée généreuse de créer un recueil de textes illustrés pour Léa, une petite fille qui allait être opérée du coeur. 
Un rouge-gorge, symbolisant le coeur, était le fil conducteur des textes et des illustrations.
 Dix-neuf auteurs et vingt-deux illustrateurs ont été enthousiasmés par le projet.
Mélanie Desplanches m'a fait l'honneur d'illustrer le petit poème que m'a inspiré Léa. 

Notre recueil a accompagné la petite fille lors de son séjour à l'hôpital et j'ose espérer qu'il lui a apporté un peu de réconfort.  
Aujourd'hui, Léa va bien.





Illustration de Mélanie Desplanches


Un pétale rouge


Petit oiseau aime la fleur
qui ouvre sa robe au jardin.
Il lui demande avec douceur :
« Veux-tu bien me donner ta main ? »

« Je n’ai pas de main, bel oiseau,
mais je te donne mon amour ! »
Et se penchant sur son jabot,
la fleur pose un pétale rouge.

Aujourd’hui, fier de sa couleur,
le rouge-gorge dit gaiement
que le rouge qu’il porte au cœur
est un pétale de maman !
 

dimanche 10 mars 2013

Lettre à une amie inconnue

Le 11 mars 2011, un violent séisme, suivi d'un tsunami meurtrier, frappait le Japon. Voici une lettre que j'ai écrite à l'une de ses victimes.



Chère amie,

Un roulement de tambour et tu apparais telle que je t’imagine : ta longue robe sombre tombe sur tes chevilles délicates, tes cheveux sont sagement noués sur ton cou un peu courbé, tes doigts longs et fins glissent le long des cordes. Je comprends tout ce que tu dis même si nous ne parlons pas la même langue.
Avant la fin, avant ton grand périple qui t’a appelée à mon imagination, nous ne nous connaissions pas. Dès lors que tu as commencé ton voyage, je t’ai connue dans toutes tes profondeurs, dans tous tes sentiments, comme une sœur de sang – et même, devrais-je dire, comme si nous n’étions qu’une. Le destin a tracé un chemin entre nos deux vies en se jouant de nos différences, pour nous confondre dans notre universelle humanité.

Un roulement de tambour et je te vois encore, dans une scène renouvelée à l’infini. Tu es sur un quai, entourée de fleurs affolées par l’azur du printemps. J’ignore tout du village où le port caresse la mer sans heurs ni clameurs, où le silence de l’air se marie à celui de l’eau et s’ouvre à la musique de l’homme. Quel beau jour pour Bach, quel beau jour pour Gershwin… Tu embrasses ton violoncelle, adorant comme toujours la douceur de son épicéa, le velouté de son ébène. Tu poses ton menton sur son épaule et tu lèves un regard timide ; devant toi, le public chuchote un peu. Et surtout, un peu plus loin, la moto de l’homme que tu attendais est à peine garée, cliquetante de chaleur. Il est là, n’est-ce pas, celui qui vient toujours t’écouter sans t’approcher ? Dans sa combinaison de cuir noir, long et taciturne, brun comme la nuit d’hiver avec ses deux yeux dévorants…

Un roulement de tambour et je te vois, mais je sais que le dernier acte se prépare. Entends-tu, mon amie, les entrailles de la terre ouvrir leur gueule rouge ? Je les entends, moi, et je te le répète en vain : ce n’est pas l’émoi de l’homme qui te regarde, ni le soubresaut de son cœur dans le tien offert, et tu pourrais fuir encore sans Bach, sans Gershwin, sacrifiant tes partitions aux dieux courroucés. Mais tu n’écoutes pas ou tu n’entends plus.
Le dragon noir dresse ses épines et brise sa cage de rocs, sa langue perce le ciel et sa queue balaie chaque pierre dressée. Son haleine enflamme les feuilles de l’arbre comme autant de bougies. D’un coup de patte, il écrase, il broie le béton ; d’une griffe, il éventre l’acier. Le dragon hurle, le dragon rugit ! Le poignard de ses oreilles pique le soleil et son épaule tyrannique crève les nuages. Maître absolu d’un temps limité, il s’accorde la puissance déchaînée que lui ont refusé ses années de séquestration. Liberté de la violence ! Mon amie, tu colles ta joue au sol et tu entends trépigner sa victoire !
Le voilà tapi de nouveau au plus profond des abîmes, bâillant en clignant ses immenses yeux de miel. C’est fini ? Il miaule à présent, le monstre ! Tu ignores encore que c’est en attendant une caresse mortelle. Tu relèves la tête. La pointe avachie de quelques immeubles fume encore au loin. Le port, lui, s’est hérissé comme un chat terrifié : sur ses vertèbres à nu, quelques fleurs flottent encore dans leur corolle de satin.
La moto est toujours là. Ton inconnu se redresse, silencieux et fidèle. Le public aussi reprend sa première forme, mouvante et calme. Tu serres contre toi ton violoncelle intact. Ta main tremble un peu.

Un roulement de tambour et tu disparais. Je vois la main géante de la mer s’élever pour une caresse horrible au dragon apaisé.
De notre sagesse d’homme, nous n’avons pas acquis le chant prémonitoire des chiens. Nous n’avons pas non plus trouvé la lame qui trancherait la ligne du destin. Mon amie, moi qui sais tout à présent, je ne peux plus rien faire pour toi.
Un jour peut-être, portée à l’autre bout du monde par les flots opaques, tu reposeras sur une plage blanche, la joue posée sur la main. A côté de toi, d’un regard qui ne voit plus depuis longtemps, ton bel inconnu saura t’offrir la promesse qu’il n’avait pu t’inventer de l’autre côté de la rive.

dimanche 10 février 2013

Fantasme (nouvelle)



Hariette et moi, nous devons notre rencontre à l’amitié entre deux hommes. Ou bien peut-être à Madame Michelet, la boulangère du coin de la rue, bien qu’elle s’en défende. Tout cela n’est pas très clair dans mon esprit.
C’était un vendredi matin. Je m’en souviens comme si c’était hier, alors que sept années ont passé depuis. Le vendredi, à l’époque, c’était le jour du petit déjeuner en équipe, au bureau. Philippe et Christophe se chargeaient du café et du thé, Marie-Louise et Francis du jus d’orange, et Amélie et moi des croissants. J’allais toujours voir Madame Michelet, parce qu’elle me mettait de côté une dizaine de croissants croustillants tout juste sortis du four. Je ratais toujours mon bus ce matin-là, il n’y avait rien à faire : j’avais beau me lever plus tôt et courir, c’était mon destin d’arriver en retard le vendredi. Mon équipe m’attendait, debout dans mon bureau, dans un brouhaha indescriptible. Quand j’avais moins d’un quart d’heure de retard, elle m’accueillait avec des applaudissements. Sinon, j’avais droit à des sifflets taquins. C’était une belle époque.
Ce vendredi-là, je m’étais levé plus tôt que d’habitude, caressant toujours l’illusion que cette fois, j’arriverais à l’heure au travail. Tout s’était passé normalement : j’avais pris ma sacoche, claqué la porte, descendu les poubelles. Madame Michelet m’avait fait un beau sourire en me tendant les croissants, et j’avais aperçu mon bus qui disparaissait à l’angle de la rue. Je serais encore en retard. Et puis, j’ai vu un autre bus arriver, au loin : quelle aubaine ! 
Je cours, je fais signe au conducteur dont je devine le regard derrière la vitre sombre. Il me répond par un signe amical : qui est-ce ? Peu importe, il m’attendra à l’arrêt, dix mètres plus loin ! Je file, commence à traverser la rue devant le capot chauffant du bus arrivant en sens inverse. « Mon » conducteur reprend de plus près ses gestes codifiés : le bras qui s’agite, la main qui balaie l’espace et dresse un pouce vainqueur en désignant une moue amusée. Derrière moi, son confrère klaxonne joyeusement, et je comprends enfin que je ne suis qu’une silhouette invisible entre deux routes de communication amicale. Juste avant d’entendre un craquement et de vivre le glissement de terrain de ma vie.
Quelques instants plus tard, je cherche les croissants croustillants de Madame Michelet sur la chaussée ; c’est la seule chose qui me préoccupe réellement, alors que je suis allongé sur le bitume dans une position inconfortable, les oreilles criblées par le piétinement d’une dizaine de talons autour de moi. Étrange âme humaine… Finalement, j’abandonne et je m’endors.
Ma première rencontre avec Hariette n’a pas été à mon avantage. J’étais plâtré de la tête aux pieds, cloué sur un lit immaculé. Dans ma carcasse blanche, je roulais deux yeux stupéfaits. « Comment vous sentez-vous ? » Demanda-t-elle d’une voix douce. Elle aussi était drapée de blanc. En un instant, tout devenait clair : j’avais emprunté le Grand Passage et découvrais avec ahurissement la compagnie des anges : moi, opiniâtrement athée pendant ma trentaine d’années de vie, accueilli dans l’antichambre du Paradis ? Je n’en revenais pas !
Cela la fit rire aux larmes. Elle a le rire facile, Hariette. Finalement, les sept ans passés avec elle m’ont appris que la méprise était en effet hilarante : elle a plus du démon moqueur que de l’ange gardien. En fait d’antichambre du Paradis, l’endroit où j’attendais patiemment la rémission était une simple chambre d’hôpital. Il n’y avait rien de miraculeux à la situation, sauf peut-être mon rétablissement total en moins d’un mois. En cela, je dois dire que Hariette a joué un rôle important, tant j’avais décidé de me montrer sous mon meilleur jour devant elle. De plus, sa beauté et son élégance lui assuraient une suite interminable d’aides-soignants, d’infirmiers et de médecins, si bien que je bénéficiais de soins assidus dès qu’elle venait me voir. C’était mon infirmière attitrée. Je ne sais qui l’avait décidé ainsi. Peut-être moi, avec mes caprices qui me poussaient à refuser toute assistance qui ne venait pas d’elle ? Peut-être elle, qui ne fut pas insensible à mon charme dès mon arrivée à l’hôpital, malgré mon piteux état ? Nul ne le saura sans doute jamais, mais je me plais à penser qu’elle m’a aimé dès qu’elle m’a vu. Et puis, cela explique que lorsque je suis sorti de l’hôpital, elle a continué à s’occuper de moi.
L’accident s’est imposé dans mon existence comme une planche entre deux rivages : j’ai changé de vie. Le cadre dynamique et célibataire est resté d’un côté, l’employé de bureau désinvolte et amoureux a continué son chemin. La vie construit des passerelles déroutantes. J’ai souvent pensé qu’il n’y avait rien à regretter ; puis, la septième année de notre couple est arrivée. On dit que c’est l’année des orages, voire des ouragans. En ce qui nous concerne, nous n’avons que rarement connu le ciel bleu. Nos relations houleuses nous avaient assuré la célébrité auprès de nos voisins, qui n’en pouvaient plus de nos vocalises. Nous avions maintes fois tenté de discuter calmement de la situation, tous les deux, mais le feu avait rapidement repris le dessus, réduisant en cendres nos grandes résolutions de paix. J’étais donc convaincu que nous n’échapperions pas au grand tournant de nos sept ans, sans me résoudre à prendre une décision. Un événement étrange m’aida à sauter le pas.

Un soir, Hariette rentra tard ; dans un premier temps, je l’avais attendue devant la télévision, puis j’avais décidé de faire un dernier effort pour notre couple et avais préparé un dîner aux chandelles. Quand elle arriva enfin, je remarquai qu’elle avait revêtu sa plus belle robe, comme si elle répondait à mon invitation. Durant la soirée, elle écouta tout ce que je dis sans me couper la parole, me sourit sans cesse, fut d’une douceur extrême, et cette nuit-là, nous revécûmes la magie de notre première étreinte. Le matin au réveil, elle posa sur moi un long regard triste, m’embrassa et déclara :
— Il est temps de nous quitter, François. Non, ne me retiens pas. La femme avec laquelle tu as vécu cette nuit et qui t’a rendu plus heureux que tu ne l’as été ces sept dernières années, est un fantasme. Si tu voulais vivre heureux avec moi, il faudrait que sois morte et que je n’existe plus que dans tes rêves.
Je me réveillai en sursaut et manquai de tomber du canapé. Quel ne fut pas mon soulagement de trouver Hariette dans la chambre, profondément endormie, puis de l’entendre protester vivement qu’elle ne pouvait jamais avoir la paix !
Je lui dis que j’avais décidé de la quitter. Je lui ai expliqué qu’attendre sa mort pour vivre mon fantasme n’était pas une option que je pouvais envisager sur le plan éthique. Je ne suis pas sûr qu’elle ait très bien compris mes arguments mais dans la journée, elle avait quitté l’appartement.
J’ai été un peu malade pendant vingt-quatre heures – mais je me demande encore si ce n’était pas à cause des restes que j’avais avalés la veille au soir avant de m’assoupir sur le canapé – puis je me suis préparé à ma nouvelle vie : j’ai démissionné de mon travail, repris contact avec mes anciens amis, trouvé un nouveau poste à responsabilité. En un mois, j’étais redevenu un cadre dynamique et célibataire. J’avais retraversé la passerelle, mais dans l’autre sens et avec des bagages sept ans plus lourds. Et un fantasme en plus.